LE SENTIER NOTRE-DAME-KAPATAKAN D'HÉLÈNE

19 MARS 2023

Voici le texte d’Hélène, sans retouche. Nous avons cru bon vous le partager tel quel, afin de garder le caractère “spontané”, des écritures du chemin… Bonne lecture !

Étape 1

Malgré la chaleur accablante ce fut une randonnée magnifique. J’ai l’immense chance de dormir chez les parents d’une collègue de travail, au bord d’un lac.

Je pars demain tôt pour St-Felix-d’Otis.

Étape 2

De Rivière-Eternité à St-Félix-d’Otis

Je suis partie sous la pluie et avec un début d’ampoule au pied droit. Les premiers 7 km sur la route nationale 170 n’étaient pas magiques, évidemment. Des fois je me disais que j’allais peut-être mourir d’une garnotte dans le front pitchée par un dix roues, mais les gens étaient cordiaux pour la plupart. Après ces 7 km où j’avais l’impression de steamer sous mon imperméable, il a fallu pénétrer dans la forêt. Un chemin forestier plein de moustiques et de boue. J’ai vraiment douté à ce moment là. Cinq ou six km à slider et à me parler seule au cas où Winnie the Pooh retontisse. Je textais mes amis pour me donner du courage et j’ai même écouté un pod cast sur les légumineuses en conserve. La pluie a cessé dès que je suis sortie du bois pour rejoindre une route gravelée me menant à mon hébergement, situé plus proche que la fin de la deuxième étape. Ça me fera plus de kilomètres pour demain!

Sur cette route, appelée « le vieux chemin », certaines personnes ont aménagé, de l’une une table à pique-nique pour les randonneurs, de l’autre l’accès à une source d’eau.

Je suis arrivée à mon hébergement (Hébergement Cerfs-Tifiés) après 18 km, une fermette qui m’offre souper, déjeuner et magnifique loft à moi seule. Je pense que je me suis payé du luxe et c’est bien tant mieux.

À date j’ai parcouru 35 kilomètres au total. Demain sera une grosse journée, mais mon moral démoralisé de ce matin a repris du mieux

Étape 3

De St-Felix-d’Otis à La Baie.

Je me suis levée reposée et motivée ce matin. Il faisait beau, frais et venteux. Parfait pour la marche. Je me suis sentie bien tout au long, malgré la fatigue qui s’installait au fil des kilomètres.

Cette étape débute sur le vieux chemin. On croise de la forêt ponctuée de paysages de campagnes.

J’ai mangé des fraises des champs qui parsemaient les bords de la route et laissé mes pensées virevolter autour de thèmes écologiques : j’identifiais les fleurs des champs et les insectes et écoutais les oiseaux (tout plein de bébés corneilles en ce moment). Je me disais que ce serait peut-être chouette d’aller étudier en ethno-botanique, histoire de compléter mon baccalauréat et ma maîtrise en biologie qui ne me servent pas .

Après une quinzaine de kilomètres sur le vieux chemin, on retrouve la « fabuleuse » route nationale 170. Et, là, même si le guide recommande de marcher face aux voitures, j’ai plutôt préféré marcher du côté droit, car non seulement l’accotement y est plus large, mais on est du côté de la baie, qui est à couper le souffle.

J’ai identifié beaucoup d’autres insectes, mais surtout ceux morts frappés tout au long. Quand on se promène en voiture, on voit les pertes qu’occasionnent les véhicules pour les mammifères et les oiseaux, mais à pied on voit aussi les pertes occasionnées chez les insectes. Ce n’est pas « pour mal faire », mais ça fait quand même mal.

On marche ensuite tout au long de la rive de la ville de La Baie et c’est très très beau. Pour ma part, c’est à la Grange aux Hiboux que je me suis arrêtée pour dormir. J’ai par ailleurs été manger au Pavillon noir : bavette de bœuf et amaretto sour… j’ai tout englouti, puis je suis allée me promener sur la plage dépaysante en mangeant des Turtles.

J’ai parcouru 28,2 kilomètres aujourd’hui. Ça a très très bien été et j’ai déjà hâte à demain (22 km entre La Baie et Chicoutimi).

Étape 4

De La Baie à Chicoutimi - 23,2 km

Après une trop courte nuit de quelques heures parce que mon cerveau n’arrêtait pas de marcher, j’étais quand même motivée à entreprendre cette quatrième étape.

Le trajet débute en quittant la ville de La Baie par la campagne. Des « monte-descend » enfilant les paysages agricoles quand même forts jolis. Quand j’ai vu les apocyns à feuilles d’androsème (la plante sur la photo), je me suis vraiment sentie au Saguenay-Lac-St-Jean car c’est uniquement là que j’en ai vus dans ma courte carrière de biologiste, jadis, quand je travaillais avec des abeilles

Au fil des kilomètres, le temps se couvrait, jusqu’à ce que la pluie se mette à tomber.

Je textais ma « moman » pour finalement clore la discussion en disant : « C’est ça finalement marcher. Avoir mal aux pieds et avoir envie de pipi et texter sa mère ! » Parce qu’on va se le dire, ça manque de toilettes ce parcours-là!

À la pluie battante et sur des pieds qui ne comprennent plus trop comment se comporter, en plein milieu du rang St-Martin, qui s’étend sur 11 km avant d’atteindre Chicoutimi, le moral (qui avait déjà été épuisé par les tribulations nocturnes de son cerveau) a foutu le camp. Boum. Il y a même un gros chien pas attaché qui a filé vers moi en aboyant et je n’ai même pas eu peur. Quand même contente que ce chien ait eu une barrière psychologique s’arrêtant au bout de sa cour ! Croiser des chiens agressifs c’est ma plus grande peur (d’habitude).

Je me suis alors mise à remarquer ceci : c’est quand même ahurissant la quantité de canettes de bière qu’on peut retrouver le long d’un rang en 2022. Pour le fun, pendant 45 minutes de marche, j’en ai compté 12. J’ai failli les ramasser, mais j’ai fait comme tout le monde, je ne l’ai pas fait.

J’ai filé dans Chicoutimi, j’ai descendu une longue pente pentue, j’ai vu un banc le long d’une rivière et j’ai « stallé » à même pas 3 km de l’endroit où j’avais planifié terminer.

Nataly Saqui St-Gelais, chez qui j’avais réservé est venue me chercher : douche, spa, massage. Là j’attends que l’eau bouillonne pour me préparer des pâtes sans gluten à la sauce tomate (j’en rêve depuis deux jours). Après ça je serai comme neuve. Et je vous le dis : gâtez-vous si vous planifiez vous faire souffrir comme ça ou autrement. Ça fait toute la différence. Quand on avale les kilomètres, les petits plaisirs rendent souvent possibles les pas supplémentaires.

Demain il paraît que ce sera une des étapes les plus agréables du Kapatakan. De Chicoutimi à Jonquière. Je dépasserai alors les 100 Km du trajet et en serai à la moitié de mon séjour dans cette magnifique région.

Étape 5

De Chicoutimi à Jonquière.

Je me suis levée reposée et certaine d’un temps et d’un trajet magnifiques.

C’est à date mon étape préférée. J’ai pris mon temps car tout était intéressant. Autant la ville de Chicoutimi et ses cours d’eau énergiques, que sa piste cyclable rassérénante, que le sentier du Saguenay avec sa rivière. Il n’y a peut-être que le centre de ski au haut du mont Fortin qui déçoit. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé la portion de sentier pour descendre… mais j’ai retrouvé le chemin une fois en bas grâce à Google maps.

Pour la portion du sentier du Saguenay je me retrouvais en territoire un peu plus connu, car je marche surtout en sentier. Je me suis ennuyée de mon chum. D’habitude il est dans le sentier en haut de la côte devant moi.

Les derniers kilomètres une fois dans Jonquière ont été ardus. Mes pieds ne sont cependant pas blessés grâce à toutes les dépenses en soin des pieds faites hier .

Je n’ai pas vraiment d’anecdotes. J’étais tout le temps en train de dire “wow”! Ils sont chanceux, les gens de ce coin d’avoir accès à ça.

J’ai dépassé le 100e kilomètre. Je crois être rendue à 105. Je suis donc à peu près à mi-parcours et ce soir je me repose dans un motel de bord de route avec vue sur… la route.

J’ai l’impression d’avoir un bourrelet de moins. J’ai aussi pris beaucoup de soleil. Avec mon vitiligo j’ai l’air d’une mappemonde.

Demain ce sera direction Lac Kenogami. Un trajet d’environ 27 km, heureusement sans trop de dénivelé. En effet, c’est très sensible sous l’ongle de mon gros orteil gauche, surtout en descente. Si jamais vous avez des suggestions pour stopper ce problème je suis preneuse.

Étape 6

Jonquière à Lac Kénogami : 27 km

J’ai passé tout droit ce matin. J’ai commencé à marcher à 8h45 et je me trouvais à 3 km du parcours. Au moment de planifier, ces 3 km ne semblaient rien. Leçon retenue ! C’est démotivant de devoir marcher 35 minutes avant de débuter!

Le trajet d’aujourd’hui débute par une douzaine de kilomètres de piste cyclable agréable. J’ai été ralentie en raison de rencontres avec des vers de terre, limaces et escargots qui desséchaient et m’imploraient (!!!) de les remettre dans du vert. J’ai par ailleurs croisé des couleuvres, mais toutes ont disparu avant que je puisse leur tirer le portrait.

En gros ça a été une journée sur le pilote automatique et en mode “gestion des diverses douleurs aux pieds”. Surtout le reste du trajet, qui se fait sur la route. Le genre de route que l’on sillonne sans trop porter attention, les pieds sur le dash (si on est passager), quand on est en auto. Sauf que là, à pied, on voit toutes les fissures, on sent toutes les roches, on fixe un point à l’horizon qui devient notre objectif pour les prochaines longues minutes. En voiture, cela aurait été traversé en quelques secondes. On a pour compagnes des mouches à chevreuil, qui s’invitent dans notre marche sans d’abord demander (on connaît tous des humains qui sont comme ça aussi).

J’ai connu un épisode de pluie, puis le soleil est revenu, accompagné du chant des cigales qui sont “dont ben de bonne heure cette année il me semble”.

Le paysage peu changeant me faisant prendre conscience de mes pieds, j’ai écouté un ballado de Bruno Blanchet (La frousse autour du monde).

Les propriétaires de l’auberge où je dors sont venus me cueillir à 16 h, comme entendu (et juste avant une grosse pluie). Ils vont aller me porter au même endroit demain matin et c’est à pied que je reviendrai y dormir. Ce sera un petit trajet de 18 km, sans tout le poids de mon sac puisque j’aurai le loisir de laisser beaucoup de son contenu à ma chambre. C’est très bienvenu!

J’ai oublié d’arrêter AllTrails pendant les 5 premiers km du parcours en auto. Ça fait de drôles de statistiques.

Là je vais regarder des vidéos sur la façon d’attacher nos lacets pour prévenir les douleurs d’orteils.

Étape 7

De Lac Kenogami à Hébertville : 19 km et atteinte du 150e km sur 213

Journée ensoleillée et venteuse donc parfaite. Je suis partie tard car je savais que j’avais un petit trajet et un sac léger puisque je dormais à la même auberge que la veille.

Comme la gérante de l’auberge était venue me cueillir à 19 km « en amont » hier et qu’elle m’y a redéposée ce matin j’avais une bonne idée de quoi aurait l’air la route. Je suis donc entrée en moi-même avec de la musique.

J’avais le pied léger et mal nulle part plutôt qu’à mille parts. Le poids d’un sac fait toute la différence car les jours précédents j’avais l’impression d’enfoncer dans le sol. Impression qui reviendra demain matin, malheureusement. Je me suis dit que si je refaisais pareille folie je me ferais accompagner par un âne. On m’a raconté avoir déjà vu un homme de balader ainsi.

Avec ma musique pas pour tout le monde ça allait bon train. Je me suis mise à penser à L’insoutenable légèreté de l’être, mon roman préféré, de Milan Kundera. « Nous avons tous besoin que quelqu’un nous regarde » qu’il dit. Et plein d’autres choses encore.

À quatre kilomètres de l’arrivée j’ai senti le retour en force de l’ampoule. Malgré l’hypafix et tout le reste. Rien à faire. Donc ça et l’ongle du gros orteil de l’autre pied qui se soulève de plus en plus (et duquel j’ai maintenant fait mon deuil) à gérer.

Dans mes souvenirs de voyage, il y aura la fois où j’aurai demandé à la jeune gérante si elle a une aiguille pour percer mon ampoule et qui, bien que surprise, comprenait absolument et qui s’est mise à me raconter des anecdotes sur les fois où elle manquait de choses en voyage et qu’elle a dû se résoudre à demander. (Normalement j’aurais été m’en acheter des aiguilles, mais mon auto est à 65 km et la pharmacie la plus proche est loin.)

Dans mon quotidien j’essaie de faire le moins de vagues possibles. Là j’ose plus. Je suis moins anxieuse. Les imprévus me font beaucoup moins capoter. Je pense que j’aime qui je suis en voyage.

Demain je me rends à Métabetchouan-Lac-à-la-Croix rejoindre le Lac Saint-Jean. Paraît qu’ils ont une plage.

Il reste 3 jours et 65 km.

Étape 8

D’Hébertville à Métabetchuan

J’ai fait une belle gaffe aujourd’hui. Une gaffe qui m’a découragée pour un bon trois heures : j’ai emprunté le mauvais chemin et ça a rallongé mon trajet de 11 km. Résultat : j’ai marché 34 kilomètres aujourd’hui. Je n’ai jamais fait ça.

Pas de long texte ce soir, même si les paysages et surtout le ciel étaient très beaux. Je vais dormir.

Simplement dire que j’ai songé abandonner et plutôt profiter des deux jours qu’il me reste pour aller à la plage et visiter la grotte tout près d’ici. Je me suis recommandé de dormir là-dessus avant de prendre une décision.

Mon gîte et tout à côté du Lac St-Jean. Avec le vent et les vagues, c’est comme la mer.

Étape 9

De Metabetchouan à Saint-André-du-Lac-St-Jean

Ce matin, malgré mon découragement d’hier, c’est comme si ça allait de soi que je poursuive.

On m’a encouragée avec les vues sur le lac Saint-Jean sur la première portion (merci Nataly). C’est vrai que c’est très beau. Avec les hirondelles qui virevoltent, les bordures de la piste cyclable pleines de fleurs, de monarques, de pollinisateurs. Il y a aussi les gens qui filent sur leurs vélos. Les vélos électriques sont une belle invention. Maman, tu devrais essayer ça !

Tout au long du chemin j’ai mangé des fraises sauvages. Celles sur ma photo sont probablement des échappées de culture par contre. Et très bonnes aussi!

Il y a aussi un train qui est passé le long cette piste cyclable. Ça m’a rappelée quand j’étais petite et que je trippais sur Tom Sawyer et Huckleberry Finn. Je rêvais d’embarquer clandestinement sur un train ou de descendre une rivière tranquille en radeau.

Après la piste cyclable, on quitte le lac St-Jean pour la belle Métabetchouane et aussi pour marcher quelques kilomètres sur l’effrayante route 169. T’sais quand tu tiens ta casquette, tu plisses les yeux et te raidie pour ne pas que le vent de la van te fasse revoler dans le fossé? Heureusement qu’on revient sur une piste cyclable pour un petit bout et où on peut jeter un dernier coup d’œil sur le majestueux lac St-Jean et entamer une grande montée sur le chemin de la Petite Martine.

J’ai adoré cette portion. Tranquille, en forêt, seule. Juste ce qu’il me fallait avant de retourner sur la route pour les derniers 8 km. C’est sur cette route que j’ai croisé le troupeau d’hamburgers… euh, de vaches (j’avais faim). Je les ai regardées pendant une quinzaine de minutes avant de me rendre compte que le taureau du troupeau s’impatientait contre moi en piaffant.

C’était une belle étape. Ça a bien été. Je devais prendre plus de pauses, car les pieds fatiguent plus vite, mais les quinze premiers kilomètres étaient faciles.

Il reste demain.

Merci à tous pour vos encouragements d’hier et de ce matin.

Étape 10

De St-André-du-Lac-St-Jean à Lac-Bouchette - 29,4 km

La dernière.

Alors que je me chausse pour ma dernière trotte, je reluque les sandales de l’autre invitée du gîte. Je m’imagine partir avec sans rien dire et lui laisser mes bottes de rando.

C’est ce matin le fameux chemin de la Cavée et ses kilomètres et kilomètres de montées et de descentes. Je l’ai adoré. Seule au monde, au bout de deux kilomètres j’entends vers la droite un claquement inhabituel. Je regarde, il y a une trouée et dans cette trouée un couple de Grues du Canada! La photo ne les montre pas bien, car je ne voulais pas m’approcher et les déranger, mais sachez que je rêve d’en voir depuis que je suis petite. Et je pensais devoir aller en Abitibi pour ça - pas au Lac-St-Jean!

Pour le reste de ma balade dans la cavée je me sentais comme Blanche-Neige : des pics maculés, des pics flamboyants, des papillons amiral, des papillons tigrés, un épervier… J’ai même eu droit à une haie d’honneur de mouches à chevreuil, toé! J’ai compris pourquoi des orignaux se jettent dans le chemin en courant. J’ai couru moi aussi en dévalant une longue pente dans l’espoir de les semer. Mais non. J’ai donc mis mon filet, ma chemise et j’ai fait de l’ignorance volontaire. J’ai vu une gigantesque libellule en attraper une juste devant ma face. Je me suis mise à penser à du dressage de libellules. Imagine qu’au lieu du DEET tu libères ta gang de libellules pour te protéger des moustiques!

Dans la cavée et dans la piste de quad qui suit (et que j’ai surnommée la mud race), mes randos en montagne m’ont servi, car je n’ai pas eu de misère dans les côtes. Après la piste de quad j’étais brûlée et j’ai peu prêté attention au paysage. J’ai quand même vu la cabane à patates frites à 2 km de l’arrivée. C’était comme une oasis dans le desert.

A l’arrivée : aucune émotion. Je dois être trop vidée. Je suis tout de suite partie vers chez moi récupérer enfant et chien. Je vais me laisser quelques jours de décantage pour savoir si j’ai aimé ça ou non.

Je vous laisse maintenant tranquille avec mes pas, qui auront totalisés 249 km au total sur 10 jours.